
Navigation dans Bay of Islands – merveilleuses catastrophes !
Journal de bordIl pleut à verses, mais j’ai bon espoir que cela soit temporaire.
Je me dirige vers Opua, où je dois prendre la mer, pendant une semaine. Mon moral joue les montagnes russes quand je reçois un message du capitaine proposant d’annuler, vu la chute du baromètre.
Déjà, je réfléchis à cent à l’heure : est-ce que c’est possible pour moi de décaler ma réservation de la semaine prochaine à Raglan, l’inverser avec cette semaine-ci ?
Et puis, finalement, le reste de l’équipage ne souhaite pas décaler. On verra bien, on croise les doigts et les orteils. Quelque chose me dit que le temps va changer.
Je suis la première sur le ponton, avec mon barda et ma bouteille de rhum des Fidjis. Rustus Barbossa (ce n’est pas son vrai nom) m’accueille, avec sa copine, Jay. Ils sont très roux, très sympas, et déjà un petit peu ivres. Il est 11h du matin.
Je fais le tour du voilier, un vieux bateau comme on n’en fait plus, qui a fait plusieurs fois le voyage vers le Vanuatu. Un couvre-lit à tête de mort m’attend sur ma banette de cabine.

Le reste de l’équipage finit par arriver. Deux français, d’abord, des parisiens, Eliot et Antoine. Puis deux françaises, encore ! Parisiennes, aussi ! Avec des mocassins en cuir. Elles sont censées partager la cabine avec moi. Et puis… et puis elles vont passer les heures prochaines à se plaindre, en permanence. Pour elles, le bateau est une porcherie.
Je ne suis pas d’accord, j’ai connu des auberges de jeunesse plus crades. C’est “roots”, tout poisse un peu à cause de l’eau salée, il y a un chat à bord donc rien n’est toute à fait propre, beaucoup de choses sont réparées avec du bric et du broc, et oui la coque n’a pas été carénée depuis quelques temps et les voiles sont mal ajustées. Mais les drisses sont en bon état, le moteur tourne, c’est leur maison, et ils ne vont pas nous laisser couler (enfin… ça… l’avenir nous le dira !).

Je me cale sur le pont au soleil, et je roule les yeux au ciel en essayant de ne pas les écouter.
Le soleil a fini par venir, et nous prenons la mer, direction Russell, toutes voiles dehors.

Russell est la première ville de Nouvelle-Zélande, où les français se sont installés, et ont créé une imprimerie pour traduire la bible en Maori. Ça a tourné au repère de pirates et de prostituées, mais à présent, c’est une adorable petite ville aux maisons de bois bariolées et proprettes, où il ferait bon passer des vacances.




On embarque notre alcool et la nourriture, et en route pour la baie des îles !
Le capitaine (Rustus, ou plutôt Daryl de son vrai nom, même s’il ne veut pas être appelé comme ça, Big D fera l’affaire !) connaît l’endroit comme sa poche.
Ancien capitaine d’un navire de pêche, la mer est son domaine, et il vit à la marge de la société, se prenant pour un pirate. Il est aveugle d’un œil, et fait sa propre bière à bord (un genre de bière lyophilisée…), et il est toujours un peu ivre.

La croisière n’est évidemment déclarée nulle part, le nom du bateau n’apparaît pas sur la coque, et le pavillon néo-zélandais n’est pas hissé.
En revanche, on hisse le drapeau pirate, et le Gwen ha du.
Comment un gwenn ha du se trouve à bord, vous demandez vous ? Drôle de question, il y a des gwenn ah du absolument partout dans le monde. Sa croisière a pas mal de succès auprès des français, et un breton lui a laissé son gwenn ha du qu’il avait en double (véridique).

Il y a un peu de houle, et le bateau roule sur la mer qui fait le dos rond. Il fait beau, il fait chaud, l’été est là. Big D nous emmène dans une baie déserte; il connaît les endroits et les mouillages secrets où personne ne se rend.

On saute dans l’eau émeraude, et nous nageons jusqu’au rivage. Pieds-nus et en maillot, nous décidons d’explorer l’île. Elle est déserte, c’est une réserve naturelle. Les chemins sont dégagés, des perroquets volent dans les sous-bois. Nous marchons jusqu’à une autre crique déserte, paradisiaque, et ensoleillée.
On retourne sur le bateau, on joue avec les kayaks, on prend l’apéro.
Et on demande à Rustus de décaler le bateau jusqu’à cette autre crique, qui avait l’air si charmante… Il hésite, il n’est pas sûr que nous soyons aussi abrités dans la crique, mais elle avait l’air si bien… Finalement il cède. Première erreur.
Seconde erreur, on s’aperçoit qu’un bout du kayak s’est pris dans l’hélice. Antoine plonge pour tenter de dégager l’affaire, mais il a beau revenir, les mains en sang, un bout du cordage sera toujours bloqué. Enfin, l’hélice tourne, donc on ne s’en préoccupe pas… Pour le moment.
On boit, on mange. Je me sens un peu malade, il fait extrêmement chaud dans le carré, et la houle vient du large.

La nuit que nous allons passer va être épouvantable. Dans la cabine arrière, nous ne fermerons pas l’œil, car le roulis nous ballote, comme si quelqu’un vous secouait par l’épaule dès que le sommeil vous gagne. Enfin, c’est un bateau, ce n’est pas grave.
Le lendemain matin, on découvre Antoine, plié en deux au-dessus d’une marmite, vomissant ses tripes. Eliot l’a trouvé pendant la nuit, couvert de vomi. La houle ne lui a pas réussi non plus.
C’en est trop pour les parisiennes. Le café ne leur convient pas, elles n’ont pas dormi, et aujourd’hui, le temps est couvert (mais il fait très chaud et il ne pleut pas !). Elles ne sont pas sûres de vouloir rester. Ras la casquette pour le capitaine, qui décide de faire demi-tour et de les débarquer à Russel.
Ca douche un peu l’ambiance, mais ça soulage tout le monde. Antoine peut terminer d’être malade dans une baie extrêmement calme, plus calme que certains ports où j’ai été.
Eliot pêche en barque. Je me baigne et fais des tours de kayak. La vie est douce.
Au travers des arbres, les habitants facétieux ont posé une silhouette de Moa. C’est terrifiant. Le Moa, c’est cet oiseau gigantesque, cousin de l’autruche, dont la femelle faisait 3m de haut. L’espèce a été chassée jusqu’à l’extinction par les maoris en 1445.

Jay et Big D nous font la cuisine. C’est plein de beurre, beaucoup de beurre (du coup c’est bon), des légumes (un peu), et du poisson fraîchement pêché (pas grâce aux gars).
Nous reprenons la mer le lendemain matin; comme nous avons perdu une journée à déposer nos deux boulets, le capitaine nous propose de rester une journée de plus en mer. On y gagne au change.
Le lendemain, il fait beau, beau, beau, merveilleusement beau (Antoine brûle, rouge écrevisse). Big D nous emmène sur une autre île, également déserte (réserve naturelle, comme beaucoup d’îles et d’îlots dans Bay of Islands), dans un mouillage nommé “Paradise cove”… Je vous laisse imaginer, au programme : eau émeraude et turquoise, plage de sable blanc et fin, et balançoire sur la plage…

On kayake, et on part à l’aventure. Je pars avec Eliot dans les chemins. Et là, un fou-rire, comme il y en a très, très longtemps que je n’en ai pas eu.
Nous sommes pieds nus, en maillots. Il a énormément plu, les chemins sont donc très boueux et extrêmement glissants. Sans chaussures, il est très compliqué de grimper.
Je m’accroche à une branche d’arbre pour ne pas glisser.
Devant moi, je vois Eliot qui s’immobilise : au moindre geste, il tombe. Pourtant immobile, je le vois glisser inexorablement au ralenti, dans le sens de la pente, dans la boue.
Je rigole mais je suis dans le même bateau, et impossible de lâcher ma branche.
Bon an mal an, on arrive au sommet de la colline. On fait quelques vidéos au drone, on croise des gens qui sont eux, équipés pour randonner.
Et puis il faut redescendre. Rebelote, ça glisse, lutte contre la gravité. Eliot jette un oeil en arrière, se plie en deux de rire car il est suivi par Baloo (c’est moi, qui glisse sur le popotin dans la boue pour descendre).

Ce soir là, en regagnant le bateau, des dauphins viennent nous rendre visite dans la baie. Les gars sautent dans les kayaks à leur poursuite (ils perdront un masque de plongée extrêmement cher au passage…)
Moi, je n’arrive pas à prendre de douche chaude (la salle de bain est artisanale et le chauffe-eau fonctionne mal) et je m’aperçois que de l’eau s’infiltre dans ma couchette.
Heureusement, les filles n’étant plus là, je vole leur banette qui elle est sèche. On boit en regardant les étoiles sur le pont. Les gars et Jay pêchent dans la nuit. C’est une bonne soirée.

Le lendemain matin, les dauphins reviennent nous rendre visite. C’est à mon tour de sauter dans le kayak et d’aller à leur rencontre. Je passe une heure autour d’eux. Ils nagent sous mon embarcation, roulent sur le ventre pour me regarder. Je suis assez proche pour voir leurs cicatrices sur leurs dos. J’espère que ce ne sont pas des traces de filets de pêche ou de propulseurs de bateaux. Jay m’indique qu’il s’agirait des morsures des mâles, qui sont territoriaux et se battent.
Ils nous accompagnent lorsque nous quittons la baie.

Une autre troupe de dauphins arrivera en sautant et jouera dans le sillage de notre navire, alors que nous nous dirigeons vers une nouvelle île.








C’est là où D et Jay vivent, lorsqu’ils ne sont pas en croisière. C’est leur petit coin de paradis, abrité, calme, avec une plage où vivent des kiwis.
Un mot sur Jay. Elle n’est pas depuis longtemps sur le bateau; elle a accompli cinquante métiers dans sa vie. C’est le genre de personnes qu’on ne prend pas forcément au sérieux, parce qu’elle rit fort et qu’elle vient de la campagne. Mais elle en sait des choses. Elle me montre comment vider un poisson; m’explique la tradition maori pour récolter et plier les feuilles de harakeke (le lin de Nouvelle-Zélande). Elle a brodé un pirate à la dent d’or qui trône dans le carré, au milieu des dessins et des mots des équipages.
Elle passe son temps à lire, elle s’occupe bien de nous. Elle me raconte sa vie. Je lui lit ses cartes de tarot. De prime abord, les gars ne veulent rien entendre du tarot. Et puis, finalement, tout le monde me demande sa séance…

A mon programme, hamac, nage et kayak. Les gars quant à eux, ramassent du petit bois, et cassent le moteur de l’annexe.

Le soir, nous nous rendons sur la plage pour y faire un feu de camp. Ce n’est pas une mince affaire, ivres dans la barque. Mais seuls sur notre île déserte, ça a des airs de paradis. Le tableau est enchanteur lorsque nous regagnons le navire : à chaque coup de rame, du plancton bioluminescent s’illumine, grandes gerbes lumineuses dans l’eau noire.
Ah, et aussi, on coule. Vous vous rappelez du bout de kayak enroulé autour de l’hélice ? Oui, eh bien, l’hélice n’ayant jamais été parfaitement dégagée, le bout a chauffé et fondu, et a créé une voie d’eau dans la cale moteur.
La pompe de cale suffit à évacuer l’eau, mais techniquement, nous coulons. Trèèèèèèèès lentement.
La douche est cassée de manière permanente aussi.
Big D me demande de l’aide sur sa tablette, comme un grand-père. Je lui fais télécharger Duolingo. Les français de son équipage ne lui apprennent que des insultes, il est temps qu’il apprenne d’autres choses…
Dernière étape, une petite baie abritée entre plusieurs îlots, que j’explore avec délice. D’un coup, j’ai 8 ans à nouveau et j’explore des îles désertes.
On passe une dernière soirée; on porte des chapeaux de pirates, on boit du rhum, on joue au puissance 4 et au Uno, on chante des chants bretons, et le capitaine sort son banjo.
Il est temps de rentrer… et vous savez quoi ? Il a fait merveilleusement beau.

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